L'Éducation Musicale n°95 de septembre 2015
Recension d'Édith WEBER
Recension d'Édith WEBER
Lin-Ni LIAO : Héritages culturels et pensée moderne. Les compositeurs taïwanais de musique contemporaine formés à l'étranger.
Collection Pensée Musicale, 2015, 373 p. – 25 €. Réf. BDT0046
Sur le plan culturel,
en raison de sa complexité historique, l'Île de Taïwan (ex Formose), séparée de
la Chine continentale, a assimilé diverses influences : chinoise,
japonaise et occidentale. Lin-Ni Liao s'attache à démontrer le glissement d'une
« identité fantasmée à une identité politique », puis d'une
« identité culturelle à une identité artistique ». La première partie
est d'ordre historique, avec un rappel des diverses occupations néerlandaise,
espagnole puis japonaise entre 1895 et 1945. Toutefois, quelques Taïwanais ont
poursuivi des études musicales à l'étranger, par exemple Chang Fu-Hsing, suivi de Lee Chi-Chwan,
pédagogue marqué par l'éducation occidentale. Jiang Wenye
a joué un rôle de novateur dans le domaine de la musique contemporaine, Chen
Su-Ti s'est spécialisé dans la musique religieuse pour piano et Kuo Chi-Yuan, dans différentes formations instrumentales.
De 1945 à 1960, se produit un « vide culturel avant une ouverture
très progressive », avec « une musique nationale et une musique
politique », la création d'institutions : Département de musique,
École nationale des Arts de Taïwan, mais aussi d'Orchestres nationaux au
service de la musique classique et contemporaine. C'est surtout grâce à Hsu
Tsang-Hovei que, dans les années 1960, la musique
contemporaine et la critique musicale connaîtront un
essor remarquable. De 1970 à 1987, une certaine « contrainte
politique » se manifeste par exemple avec le Recueil des chants traditionnels populaires ; les efforts portent alors sur la collecte de
chants taïwanais et la défense de l'identité nationale, associée à la fondation
de la Bibliothèque musicale, à des réflexions de Shin Wei-Liang,
à la création du Centre de recherche de la musique traditionnelle chinoise
ayant pour objectif la renaissance de la culture chinoise lancée par des
efforts pédagogiques envers des enfants doués et la création de classes
spécialisées en tenant compte des enjeux sociaux. De 1987 à nos jours, la
conscience taïwanaise se dégage, des changements politiques se manifestent et,
progressivement, les compositeurs et compositrices s'imposent avec des
programmes de musique contemporaine interprétés par des ensembles de
percussions et des orchestres de chambre reflétant une « dynamique
orientée vers le monde extérieur ».
Le sujet essentiel
de cet ouvrage — si riche en faits,
constats accompagnés d'une abondante liste de compositeurs taïwanais ayant
étudié à l'étranger — fait l'objet de la deuxième partie. Lin-Ni Liao propose
une éclairante revue des musiciens taïwanais formés en Europe : Autriche
et France, notamment à la Sorbonne dans les Séminaires des regrettés
Professeurs Jacques Chailley et Tran Van Khê, puis de Danièle Pistone,
François Picard, Marc Battier. Ils seront initiés à
des esthétiques et principes compositionnels très variés, sans pour autant
renier l'idée culturelle taïwanaise. Le cursus et le goût français leur ont été
inculqués par Alain Weber et Allain Gaussin, sans
oublier l'influence de Claude Debussy, tout en aspirant à un langage personnel.
Chen Yu est un « compositeur au double
cursus ». Le premier musicien formé aux États-Unis est Lu Yan. Plusieurs
orientations sont représentées. La musique électroacoustique est aussi en usage
à Taïwan dans les années 1960 grâce à Jean-Claude Éloy.
Des œuvres s'inspirent de la philosophie traditionnelle chinoise avec, en
filigrane, des matériaux culturels chinois.
Lin-Ni Liao a
brassé une foultitude de renseignements, de noms, d'institutions situés dans leurs contextes musical, esthétique, politique et par
rapport à un héritage culturel très dense. Pour ce faire, elle a élaboré une Table des matières qui se présente comme
une revue extrêmement détaillée et précise et une claire mise en ordre (cf. p. 9-15). Ce livre est enrichi
d'exemples musicaux et d'Annexes :
Liste des compositeurs de musique contemporaine formés à l'étranger,
Universités d'accueil (7 Tableaux), et d'une remarquable Bibliographie (p. 335-358) raisonnée et circonstanciée, ainsi que
le rappel des sources primaires (divers entretiens) et d'un Index des noms et des œuvres, soit 373
pages résultant d'une Thèse dirigée par Marc Battier. Voilà de quoi instruire les
historiens, musicologues, ethnomusicologues, compositeurs, sinologues,
bref : tous ceux qui s'intéressent aux problèmes d'identité culturelle
orientale, d'acculturation et de créations au XXe siècle et, en général, à
l'influence didactique et aux glissements identitaires.
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